
Le rêve et le cerveau, méchanismes biochimiques.






Pour mettre en évidence les zones du cerveau stimulés pendant le sommeil, et notamment pendant les rêves nous avons fait une dissection des cerveaux d'un veau et d'un mouton. Voici ce que nous avons pu observer.
Pendant le sommeil paradoxal, notre vécu quotidien entraîne la mobilisation de zones du cerveau et des réseaux de neurones différents.
Nous pouvons établir que pendant le sommeil paradoxal:
- il n'y a pas de connexion entre le cerveau et les muscles. Il est alors difficile de réveiller un dormeur. Le corps est immobile à cause de la paralysie de certaines zones cérébrales. Tous les muscles sont donc au repos sauf ceux de la respiration et des yeux.
- le cerveau consomme autant d’énergie que pendant l’éveil. Les ondes enregistrées correspondant aux rêves ressemblent à celles d’une personne éveillée: elles sont de faible amplitude et de fréquence élevée. Les ondes sont issues de centres nerveux profonds et se propagent vers l’avant du cerveau.
- La plupart des neurones de certaines aires du cortex et du centre des émotions ont la même activité qu’à l’éveil et augmentent durant le sommeil paradoxal.
- Le cortex frontal associerait des impulsions dénuées de sens (venant du pont) à des sentiments ou émotions déjà ressenties.
Plus récemment, en 1997, Allan Braun , de l’Institut américain pour la santé à Bethesda, a pu voir par tomographie des images du cerveau au cours du sommeil paradoxal, il a donc révélé que:
- Certaines aires comme le cortex visuel primaire sont moins actives qu’à l’éveil.
- Le cortex frontal est également très calme.
- L’hippocampe est très actif. (Pour ceci, se référer aux images de la dissection.)
- Les aires cérébrales actives à l’éveil sont les plus actives pendant le rêve.
Les cycles d’une nuit de sommeil ne sont pas tous les mêmes: pendant le premier cycle, la phase de sommeil lent et profond est très longue, celle de sommeil paradoxal est plus courte. Au fil de la nuit, le cycle de sommeil lent devient plus court, tandis que la phase de sommeil paradoxal s’allonge. Cela explique deux phénomènes :
- la durée des rêves s’allonge au fil de la nuit. Le premier rêve dure une dizaine de minutes environ, le second une vingtaine, tandis que les suivants peuvent durer une demi-heure. Ce sont ceux dont on se souvient le mieux, puisqu’ils ont lieu en fin de nuit ;
- on dit que les premières heures de sommeil comptent double car la quantité de sommeil « réparateur », celui où le corps et le cerveau sont au repos, est plus importante dans les premiers cycles.
Nous allons maintenant analyser plus précisemment où et comment se forme les imagesqui constituent nos rêves dans notre cerveau.
Formation des images dans le cerveau et incohérence des rêves
Dans un premier temps nous pouvons constater que pendant la phase de sommeil paradoxal, les aires primaires visuelles sont désactivées, c’est-à-dire que les organes des sens ne transmettent pas d’information au cerveau. Pourtant, le cerveau continue de former des images dans d’autres aires visuelles plus élaborées: il semble qu’il fonctionne en autarcie, indépendamment d'autres images extérieures. On sait que le lobe préfrontal, qui gère la cohérence des informations que nous recevons, est au repos pendant le sommeil paradoxal. Il n'y a plus de cohérences entre ce qui est vrai ou ce qui relève de l'imagination.
Naissance des rêves : une expérience sur des chats
Les équipes de Michel Jouvet (1925-), neurobiologiste français, ont voulu comprendre ce qui provoquait cet état modifié du cerveau et vérifier où naissait précisément le sommeil paradoxal : y a-t-il un centre du rêve ? Ces chercheurs ont donc mené une expérience passionnante sur les chats. On savait déjà que le cortex n’était pas indispensable au sommeil paradoxal. Les équipes se sont donc concentrées sur le tronc cérébral et en ont ôté, peu à peu, de petites parties, notamment l’hypothalamus et l’hypophyse, deux structures pourtant très importantes dans la régulation des humeurs. À chaque fois qu’ils ont sectionné une partie du tronc cérébral, ils constataient que les chats continuaient de vivre des périodes de sommeil paradoxal très régulières, dont ni la durée ni la fréquence n’étaient raccourcies.
Deuxième étape de l’expérience : il ne restait alors plus que le pont, une structure qui fait le lien entre le cerveau et la moelle épinière. Les chercheurs ont décidé de pratiquer des lésions bilatérales progressives sur cet élément. Très vite, ils se sont aperçu que, cette fois, les chats mutilés n’ont plus du tout de sommeil paradoxal : il semblerait donc que celui-ci prenne naissance dans ce pont, plus précisément au niveau de sa partie dorsolatérale.
Le rôle des neurotransmetteurs
Ces résultats ont été confirmés par des expériences qui ont permis de montrer qu'il y a une accumulation d’enzymes, responsable de la destruction des monoamines oxydase, dans une partie du cerveau. Les enzymes semblent réguler la libération de ces monoamines sur le long terme. La théorie est aujourd’hui confirmée : ainsi, lorsqu’on injecte des inhibiteurs de la monoamine oxydase chez un individu, les phases de sommeil paradoxal (et donc le rêve dans sa version stricte) disparaissent.
Schéma d'un neurone. 1 Mitochondrie. 2 Vésicule synaptique avec des neurotransmetteurs. 3 Autorécepteur. 4 Fente synaptique avec neurotransmetteur libéré (ex : sérotonine ou dopamine). 5 Récepteurs postsynaptiques activés par neurotransmetteur (induction d'un potentiel postsynaptique). 6 Canal calcium. 7 Exocytose d'une vésicule. 8 Neurotransmetteur recapturé. © Mouagip, Wikipedia CC by sa 3.0
Reste à savoir comment cette monoamine oxydase agit ensuite sur le cerveau. Elle permet d’inactiver certains neurotransmetteurs de la classe des monoamines, tels que la noradrénaline, la sérotonine ou la dopamine. Tous ces neurotransmetteurs jouent, entre autres, un rôle sur la régulation de l’humeur et du sommeil. La monoamine oxydase a donc un effet indirect évident sur les différentes phases du sommeil.
On sait notamment que la sérotonine est nécessaire à l’endormissement et au maintien de l’organisme dans un état de sommeil. Au matin, des inhibiteurs de la sérotonine entrent en action, sa concentration dans l’organisme diminue et nous nous réveillons. Les deux systèmes sont liés : si l’on inactive les neurones noradrénergiques, alors les neurones sérotoninergiques s’activent et la quantité de sommeilj ournalière augmente considérablement de même que, par ricochet, la quantité de rêve.
Quant à la phase de sommeil paradoxal en particulier, les équipes de Michel Jouvet ont identifié, dans le tronc cérébral, les structures responsables de son activation. Il s’agit d’un ensemble de neurones SP-on, actifs pendant le sommeil paradoxal.
Ces neurones possèdent leur équivalent inverse, les neurones SP-off, qui fonctionnent grâce à des neurotransmetteurs tels que la noradrénaline, la sérotonine et l'histamine: ils empêchent les neurones SP-on de fonctionner. C’est seulement lorsque l'action des neurones SP-off s’arrête que les SP-on peuvent « s’allumer » et déclencher le sommeil paradoxal.
Nous pouvons donc remarquer une autre particularité du sommeil paradoxal, une particularité métabolique cette fois-ci: l’expérience a montré que la dépense énergétique de l’organisme en glucose et en oxygène était la même que pendant l’éveil. Alors que les dépenses sont considérablement ralenties pendant le sommeil lent.
Les enzymes sont donc responsables de la capacité de rêver; plus il y en a moins une personne rêve. Le mécanisme de ce dernier est donc bien biochimique, voire métabolique.
Mesurer les phases du sommeil
Pour mesure les phases du sommeil, il faut effectuer un électroencéphalogramme (EEG), c’est-à-dire un enregistrement de l’activité électrique du cerveau, pendant la période de sommeil. On place de petites électrodes à la surface du cuir chevelu. Celles-ci vont capter les différences de potentiel électrique produites au niveau du cortex, ce qui va se traduire par le tracé d’une courbe : c’est l’EEG. C’est cette courbe ondulatoire qui permet de repérer les phases de sommeil : ondes éloignées pendant le sommeil lent, beaucoup plus rapprochés pendant le sommeil paradoxal, où l’activité électrique corticale est aussi importante que pendant l’éveil. Mais le tracé n’indique pas si la personne a rêvé ou non pendant cette phase de sommeil paradoxal. Cet examen est réalisé par un neurologue, qui va ensuite analyser le tracé. Il est relativement récent puisqu’il a vu le jour dans les années 1920.
Pour compléter l’expérience, on réalise également un électromyogramme (EMG). De la même façon qu’on enregistre l’activité électrique du cerveau, on mesure celle des muscles. Quant àl’électro-oculogramme (EOG), il permet d’observer les mouvements des yeux : ainsi, on peut repérer la phase de sommeil paradoxal grâce aux mouvements très rapides des yeux ou REM (Rapid Eye Movement).
L’ensemble de ces trois données (EEG, EMG et EOG), mesurées sur la durée du sommeil, va permettre de bâtir un hypnogramme, c’est-à-dire une carte de l’activité électrique au cours du sommeil. On y repère très bien les différentes phases du cycle et les différents cycles successifs.
Les chercheurs, quant à eux, vont plus loin, notamment dans leurs expériences sur les animaux. Ils peuvent par exemple injecter des substances radioactives avant d’effectuer un examen d’imagerie à résonnance magnétique (IRM) : c’est un moyen d’observer quelles zones du cerveau sont activées ou non pendant les différentes phases du sommeil ou de l’éveil. Mais là encore, on ne peut pas dire précisément si l’activation de ces zones correspond à un rêve ou tout simplement au sommeil paradoxal.
